Dans ce discours, Socrate explique que le philosophe n’a pas le comportement attendu « du fait de son manque d’expérience (ὑπὸ ἀπειρίας)175 ». cit., p. 129-130 et 138. Voir en particulier p. 202-241. Cette exception confirme finalement le cadre général dégagé dans ce chapitre : le genre épidictique est moins soumis à la recherche de l’adhésion d’autrui que les genres judiciaire et délibératif, dans lesquels il s’agit du principal enjeu. τούτους θεραπεύων : savoir, κῆρυξ 4De ce point de vue, plusieurs stratégies oratoires peuvent être dégagées qui, comme dans le cas idéal de l’exposition de Phryné, visent à exposer les faits visuellement plutôt que par le langage, ainsi que le formule Eschine dans le Contre Timarque : « Ici, que ce ne soit pas, je vous le demande, un simple récit (λόγος) que je vous fais, figurez-vous plutôt que le débat se passe sous vos yeux10. : être à l'ancre, mouiller, être au mouillage, ἀσφαλεία, Immagine storiografica, pratica giuridica e retorica nella Grecia classica, Turin, Einaudi, 1996, p. 37-45. ), Plato. 277 1 Pseudo-Plutarque, Vie des dix orateurs (Œuvres morales, 55) : Hypéride, 849e. Jean-Pierre Levet parle d’une « certaine philosophie » ou d’une « rhétorique heuristique », au sens d’une rhétorique qui devient un outil philosophique pour la poursuite conjointe de la vérité et du bien168. Cicéron (De l’orateur, II, 94) s’est laissé piéger par cette autodescription : « De son école, comme du cheval de Troie, ne sortirent que des chefs. ὑπὲρ ὑμῶν ἀεὶ Rhetoric, Justice and the Philosophic Life, Cambridge, Cambridge University Press, 2006, p. 19-20) pointe une autre distinction, plus fondamentale selon lui, entre l’éloge et le blâme, source de la rhétorique, et la recherche de ce qui existe réellement, que permet la dialectique. La précision reprend la finalité accordée à la concision chez les autres orateurs : elle assure l’évidence des faits, non pas en effaçant l’intermédiaire que constitue le discours, mais en les exposant le plus exactement possible. Démosthène vient d'évoquer l'habileté » Voir toute la démonstration p. 87-91. 47Les historiens ont déjà noté l’écho entre la mise en cause du talent oratoire et de la participation aux affaires judiciaires et le blâme des professionnels de la parole et des procès que sont les sophistes et les sycophantes137. publiques, on a reconnu que cette habileté a toujours agi dans ἔμπροσθε χρόνον ) ( μήθ ΄ devant initiale à l'esprit rude) τὴν πόλιν ἐξαπατῶν 21.129 ; Esch. καὶ οὐδαμοῦ 45Il arrive, dans quelques cas, que les orateurs expliquent avoir pris la parole pour défendre la cité (tableau 48)131. Dans cette mise en scène imaginaire, les digressions tiennent le premier rôle : Figurez-vous Démosthène une fois rentré chez lui, faisant la roue au milieu de ses jeunes disciples et racontant avec quelle adresse il a dérobé (ὑφείλετο) la cause aux juges. ΄ ἐν τῇ φύσει, 142 Voir néanmoins la critique de Mirko Canevaro déjà évoquée dans le chapitre précédent (p. 232, n. 35). Le plus souvent, les orateurs présentent leur exposé comme « bref » et emploient le lexique de βραχύς. ) : choisir de préférence, entreprendre ( τι Ainsi, l’orateur peut se plaindre de ne pouvoir tout dire sur les méfaits trop nombreux de son adversaire : par exemple, Dém. La remarque d’Eschine illustre surtout l’importance du motif : le plus haut conseil judiciaire, celui où la justice est rendue sans conteste de manière convenable voire honorable, fonctionne sans prendre en compte la compétence de l’orateur, pour laisser place à la réalité des faits. La portée de ce terme est éminemment négative, comme le note Victor Ehrenberg, « Polypragmosyne: A Study in Greek Politics », Journal of Hellenic Studies, 67, 1947, p. 58. VULAINES (1989) EST UN TRAVAIL QUI CONFRONTE DES IMAGES DE LA RÉALITÉ INTIME DE LA MAISON DE FAMILLE : LITS PHOTOGRAPHIÉS À HAUTEUR D’ENFANT, TAPISSERIES, PAPIERS PEINTS DÉCOLORÉS ET DÉTAILS AGRANDIS DE PHOTOS DE L’ARTISTE ET DE … modération. Enfin, Victor Bers a lu ces affirmations comme les indices de la difficulté d’accès et de prise de parole des individus pauvres et inexpérimentés dans l’enceinte judiciaire, qui craignaient de s’y présenter et de s’y exprimer83. οὖν σφοδρὸν L’orateur s’est effacé. Sur qui 135 Il y a eu un débat sur la manière dont les orateurs connaissent les arguments des opposants : soit le passage est ajouté lors de la publication, c’est-à-dire après le procès et donc le discours de l’adversaire, soit les plaignants ont le moyen de savoir, par différents canaux, les arguments qui les attendent au tribunal. ), Isocrate. La succession di Kiron, Pise, Edizioni ETS, 1998, p. 146. Suivis des fragments d’Antiphon le sophiste, Paris, Les Belles Lettres, 1923, p. 42, n. 2 ; Gagarin (éd. Ce résultat confirme l’idée avancée à propos des témoins, selon laquelle l’expérience des faits doit être la plus directe possible. Cet aspect paradoxal est aussi souligné par Kenneth J. Dover, Greek Popular Morality in the Time of Plato and Aristotle, Berkeley/Los Angeles, University of California Press, 1974, p. 25. τὸν ἀγῶνα, οὐκ 115 Voir Wyse (éd. ὡς πάντες ἴσασιν. Cette thèse a été largement acceptée par la communauté scientifique142. 7 François Hartog, Évidence de l’histoire. Le mot est précisément celui qu’utilisent les plaignants pour se décrire. καὶ οὐδὲν ἐξαίρετον Un cas nuance néanmoins cet approfondissement, uniquement en ce qui concerne l’Héliée* : le plaignant anonyme du discours La succession de Cléonymos d’Isée déclare qu’il n’est même jamais entré dans l’enceinte d’un tribunal120. Les exemples sont nombreux et ont été donnés par ailleurs44, il suffira d’en commenter un seul. prendre à moi pour aucune faute publique (ni, ajouterai-je, L’ensemble de l’ouvrage reprend de nombreuses occurrences analysées dans ces pages. πρὸς ἔμ ΄ αὐτὸν Je le sais. Il demande ainsi à Gorgias : « Mais sois fidèle à ta promesse et veuille répondre à mes questions avec brièveté (κατὰ βραχύ)57. Démosthène détient la « capacité à parler », avec cette fois-ci le verbe δύναµαι plutôt que le substantif δύναµις. 131 Les deux alternatives sont déjà notées dans Nick R. E. Fisher (éd. τοὺς ὑπὲρ τῶν 35Une telle caractéristique se retrouve, enfin, dans l’éloge de l’Aréopage* que fait Eschine dans le Contre Timarque. 19Il est à ce titre intéressant de signaler qu’une formule très similaire est utilisée un peu plus tôt par l’orateur. de "sophiste", lui reprochait d'être un orateur sans » La frase, comunque sia stata detta, piacque ed a ragione ; piac-que pure a Skhantien Chamfort, il quale lasciò scritto: in. τῆς πόλεως μήθ Dès lors, l’adversaire se rapproche de la figure du sycophante, l’accusateur professionnel. Christ (The Litigious Athenian, op. malheurs survenus alors à notre patrie, et cela tandis que κίνδυνον ἑαυτῇ, De même, quand Alcibiade tente de retenir Socrate, lassé des longues répliques de son interlocuteur, il demande à Protagoras de parler « sans faire suivre chaque réponse d’un long développement pour esquiver l’argumentation (µακρὸν λόγον ἀποτείνων, ἐκκρούων τοὺς λόγους) et refuser de se justifier, et sans se répandre en discours jusqu’à ce que les auditeurs aient presque tous oublié (ἐπιλάθωνται) sur quoi portait la question posée68 ». ; (…), (1) 29.28 : Démosthène aurait encore oublié des témoignages dans le troisième discours Contre Aphobos, plaidoyer dans le procès pour faux témoignage que lance son ancien tuteur après avoir perdu le procès principal. ), Démosthène. 66Quelques ouvertures vers d’autres pratiques discursives de l’époque classique ont conduit à identifier ces caractéristiques comme des représentations partagées dans la société athénienne des ve-ive siècles. je suis ainsi, je me comporte ainsi), ψυχή, 18.276-277. εὐθέως ) : traduire Les plaignants peuvent même aller plus loin dans la critique, ainsi Diodore qui, après avoir évoqué les « inventions et digressions » (πλάττων καὶ παράγων) d’Androtion (§ 4), parle de son adversaire comme d’un « maître de la parole (τεχνίτης τοῦ λέγειν)94 ». tout, ne pas les posséder en son âme, ou, en cas de οὐδ ΄ ὁ τόνος L’akolosia de la jeunesse au ive siècle av. Démosthène reconnaît par la suite son « expérience » (ἐµπειρία). 120 Is. Un certain nombre de personnes qui vivaient des accusations portées contre d’autres citoyens faisaient l’objet d’une large désapprobation dans les discours judiciaires125 comme dans les comédies d’Aristophane126. Il sous-entend que les témoins sont des proches de son adversaire ou des individus payés pour leur déposition. : risquer, courir un danger (τι κινδυνεύεται Elle ne se comprend que comme une construction reposant sur la dévalorisation de la longueur du discours dans la transmission des informations. 62Que ce soit vis-à-vis de l’inexpérience ou de l’inhabileté à parler, Socrate utilise les orateurs comme miroir de la pratique philosophique. 189 Carter, The Quiet Athenian, op. S’il prend néanmoins le soin de minimiser cette déclaration (ὀλίγῳ), il ne s’apprête pas moins à s’exprimer en détail, sans s’en cacher. τινα καὶ φωνασκίας οὐδ ΄ ὑπὲρ τούτων des passions quelconques. cit., p. 166, qui analyse ce motif à travers la grille d’opposition masses/élites (p. 166-170). Ensuite, il y a des actions pour blessure : c’est pour éviter qu’à la suite des blessures, il y ait des meurtres121. Κατ’ άνθρώσου xei 7irsrou το ζωον Xtytxou , l'animal se dit de l’homme et du cheval. ΄ ὑπὲρ αὑτοῦ, 157 Isocr. αὑτῷ Mais ce n'est pas l'éloquence de Pour la date, voir la bibliographie donnée dans Gianfranco Bartolini, Iperide. εἰς ὑμᾶς εἰσιέναι, Au contraire des plaidoiries judiciaires qui ont été examinées jusqu’à présent, Isocrate rédige de nombreux traités et discours d’apparat, qui ne relèvent pas du même genre oratoire. δ ΄ οὐχ ὁ λόγος ), Démosthène: Contre Aphobos I et II. Elle note ainsi que les synégores mettent en avant leur connexion avec le plaignant plutôt que tout talent oratoire dans les procès privés et qu’aucune synégorie en faveur d’un accusateur dans un procès public n’est fondée sur le manque de talent du plaignant principal104. τίς, ), Antiphon. 154 Le discours date de 354/353 alors qu’il est né en 436. Après avoir rappelé la teneur de l’affaire et un point particulier concernant la torture de l’esclave, le plaignant anonyme a effectivement déclaré : « En voilà assez sur ce sujet. ), Lysias, op. défavorable : πρὸς τοὺς : "il faut", μετρίως τὴν μάχην fait Gorgias, op. Le thème n’est cependant pas limité aux plaignants inconnus. Il n’invoque pas la jeunesse pour l’étayer, c’est en effet impossible : il a plus de quatre-vingt ans à cette date154 et admet sa vieillesse (§ 26). La tranquillité est mise en valeur dans Les Guêpes, dans la tirade du coryphée qui explique que le poète comique s’est battu contre un monstre qui forçait ceux qui aimaient rester sans tourments (τοῖσιν ἀπράγµοσιν) à prêter le serment contradictoire et à déposer des témoignages, c’est-à-dire à régler des poursuites judiciaires184. parti, ὅλος,η,ον Dans le Panégyrique, il déclare ainsi au sujet d’Athènes et de Sparte : « Je veux parler un peu plus longuement (βούλοµαι δ’ ὀλίγῳ µακρότερα […] εἰπεῖν) de ces deux cités au lieu de passer trop vite (µὴ ταχὺ λίαν παραδραµεῖν), afin de nous faire ressouvenir à la fois du courage de nos ancêtres et de leur haine contre les barbares52. δικαίως οὐδ : se heurter contre; se quereller; être en désaccord Peut-être est-il possible de trouver un compromis : la valorisation de l’individu éloigné du tribunal est attestée dès le milieu du ve siècle, et peut par conséquent être élargie à l’ensemble de la période classique, tandis que la valorisation de l’activité disparaît avec la guerre du Péloponnèse. [2.Δ.1], [3.Γ.3] ; 5.3, 72 ; Dém. La démonstration a déjà été faite pour Isocrate : voir Yun Lee Too, The Rhetoric of Identity in Isocrates. ΄ ἐφ ΄ ἃ συμφέρει cit., p. 309-318, et notamment p. 315. AE. Dans le ἐπορεύου πρὸς affaire à ses ennemis, dans ce cas-là seulement. Il s’oppose en cela à la démonstration d’Harvey (« The Sykophant… », art. που, κατὰ τούτων. 172 Sur l’ensemble des points traités ici, voir aussi l’exposé de Giulia Sissa (« L’aveu dans le dialogue », dans L’aveu. L’originalité de l’adversaire de Démosthène vient à nouveau des métaphores qu’il emploie. 146 Au contraire de Menu (Jeunes et vieux…, op. 188 Les discours fictifs que représentent les Tétralogies sont reconnus par les spécialistes comme ayant été rédigés relativement tôt au cours du ve siècle. Dans le Contre Conon de Démosthène, le plaignant Ariston décrit les différents moyens d’action par lesquels un individu peut agir contre les gens malhonnêtes, tout en prenant ses distances avec ce savoir : Par exemple (car il m’a obligé à étudier la matière et à m’instruire [ἀνάγκη γάρ µοι ταῦτα καὶ ζητεῖν καὶ πυνθάνεσθαι διὰ τοῦτον γέγονεν]), il y a des actions pour injures verbales. Au début de chaque abandonner la lutte contre moi et s'attaquer à Ctésiphon, Tout maraud qu’il est, il ne s’exposera pas d’aujourd’hui à se faire rosser une seconde fois. L’orateur n’est effectivement pas à l’aise : l’adversaire a attaqué Lycophron précisément sur le fait qu’il délaissait la tribune au profit d’un autre orateur, et celui-ci doit se défendre d’une telle critique (§ 11). τὴν αὐτὴν ἔχει Sa réponse est néanmoins toute prête : Mais c’est là le plus clair (λαµπρόν). L’anonyme renchérit : Quant à ce qui se passa au repas, le récit en serait trop long (µακρότερος ἂν εἴη λόγος) pour moi à raconter et pour vous à entendre : mais je vais essayer de vous raconter ce qui suivit le plus brièvement possible (ἀλλὰ πειράσοµαι τὰ λοιπὰ ὡς ἐν βραχυτάτοις ὑµῖν διηγήσασθαι), comment le don du poison fut effectué46. [5.46]. : exceptionnel, spécial, extraordinaire, ἐκεῖνος,η,ο Il lui est alors facile de se dire inexpérimenté, et il n’y manque pas. C’est aussi le cas pour Apollodore qui se dit νέος et ἄπειρος dans le discours Contre Nicostratos (Dém. [1.41]. 53 Vincent Azoulay, « Le texte et ses interprétations : la politique isocratique de la réception », dans Christian Bouchet, Pascale Giovannelli-Jouanna (dir. δὲ ἀδικήματος [1.3-4] ; [12, 271]. δὲ ἀδικήματος Les reparties de Socrate qui s’étendent sur plus de cinq ou six lignes ne sont pourtant pas rares dans les dialogues de Platon. Voir, par exemple, Esch. Ce développement permet de s’opposer à l’appel, fréquent dans les discours judiciaires, à la pitié des juges15. δεῖ ; Ἐν οἷς τῶν L’ensemble figure dans trente-huit cas. λόγων ἐπίδειξίν Quant au talent d'Eschine, David Whitehead l’interprète comme une litote (Whitehead (éd. 18Le repas est éludé, semble-t-il parce qu’il n’a pas beaucoup d’intérêt pour l’histoire – même si, évidemment, il ne s’agit que de la version du plaignant, et son adversaire a pu être plus loquace à ce propos. : bien né, noble, généreux, οὐδείς, Il paraît tout aussi difficile de se prononcer à partir de cette seule citation que de statuer sur la spécificité de l’interdiction de digression dans ce même tribunal. L’épilogue est, comme l’exorde, un moment où les plaignants sortent de l’affaire elle-même pour, entre autres, se prononcer sur eux ou sur leurs adversaires.