Il est un droit de l’âge métaphysique et absolutiste, au mieux considéré comme un point de départ qu’il convient de dépasser pour permettre à l’État de s’accomplir pleinement dans le régime parlementaire 1. Le premier a avoir énoncé le concept de souveraineté est Jean Bodin, un jurisconsulte français, en 1576. Patriote et alsacien sont donc bien les caractères irréductibles de l'homme mais aussi du juriste. G.Bacot conclut en conséquence qu’« il n’y a donc pas dans la Constitution de 1793 de souveraineté individuelle qui puisse limiter la souveraineté du peuple » 34. Celui-ci alimente ainsi chaque acte accompli par une autorité de l’État. Au contraire, la Révolution, en transférant la souveraineté du monarque à la nation, c’est-à-dire, comme nous le verrons, à un être abstrait essentiellement distinct du peuple, neutralise le caractère absolu du pouvoir souverain en distinguant le titulaire anonyme du pouvoir suprême de son détenteur effectif, le représentant, qui ne fait que l’exercer en son nom. D'après Carré de Malberg, le droit doit impérativement être séparé de la morale mais également du droit naturel et de la politique.Il postule que le droit émane de l'État, que l'Etat est souverain et que l'État est autolimité. La Révolution française marque un tournant dans la conception de l’État. Mais, d’autre part, et surtout, il s’impose comme le modèle de l’organisation de l’État, modèle qu’il convient d’imiter afin de réaliser l’État constitutionnel. Poursuivant plus loin son investigation, l’auteur ne découvre de conception individualiste de la souveraineté que chez les « enragés », et dans certains textes de Babeuf et des membres de la « Conjuration des égaux » 35 ; mais Carré de Malberg ne cite ni ne s’appuie sur aucun des textes de ces courants minoritaires, dont la pensée n’a jamais déterminé la conception dominante du principe de la souveraineté populaire. La comparaison est ici éclairante. La Contribution à la théorie générale de l’État ne se borne pas à systématiser le droit révolutionnaire comme fondement du droit français, formulant ainsi une théorie particulière de l’État français, mais procède à une analyse critique des fondements de l’ordre juridique allemand afin d’opposer au principe monarchique l’idéal de la souveraineté nationale. Si le qualificatif a perdu aujourd'hui de sa superbe, l'attachement quasi charnel à la nation bénéficiait alors d'une forte prégnance à la fin du XIXème siècle et au début du XXème siècle. Son œuvre reflète ces tensions plus qu’elle ne restitue le droit révolutionnaire dans sa vérité d’archive ; elle justifie ou invalide un présent qui continue plus qu’elle ne représente un passé qui a cessé d’être. 16Carré de Malberg ne s’est pas contenté d’opposer souveraineté monarchique et souveraineté nationale, mais il a tenté en outre d’opposer cette dernière à la souveraineté populaire. D’autre part, elle a permis de maintenir la monarchie authentique face à la montée du constitutionnalisme, en combinant le caractère constitutionnellement inconditionné de la puissance du monarque avec la nécessaire limitation de son exercice (théorie de l’autolimitation) 38. Souveraineté et fédéralisme De par son caractère absolu, la souveraineté s'adapte bien mal au fédéralisme. La souveraineté interne est le pouvoir qu’exerce un Etat au sein de ses frontières. CARRÉ DE MALBERG retient une conception essentiellement négative de la souveraineté : celle-ci n’est finalement qu’une garantie d’indépendance, la certitude que l’État ne se verra pas imposer de sujétions qu’il n’accepterait préalablement 6 . Raymond CARRE de MALBERG est un patriote alsacien. En effet, les théories de la loi que l’on peut déduire de ces principes sont aux antipodes l’une de l’autre. Le principe monarchique est ici présenté comme le critère d’identification de la véritable monarchie. 20On a fait justice d’une pareille conception qui, d’une part, déforme à un point surprenant la pensée de Rousseau, théoricien de l’intégration des individus dans la communauté et de l’universalité du peuple auteur de la loi 32 et, d’autre part, transpose sur le lieu de la Révolution française une distinction/opposition de la souveraineté du peuple et de la souveraineté de la nation nées bien plus tard. Pour cette raison, nous l’avons vu, Carré de Malberg soutient que l’assemblée des représentants est le seul organe de l’État elle ne connaît, au-dessous d’elle, que des autorités subordonnées. Introduction « La souveraineté ne peut être représentée par la même raison qu’elle ne peut être aliénée; elle consiste essentiellement dans la volonté générale, et la volonté ne se représente point: elle est la même, ou elle est autre; il n’y a point de milieu ». Il faut toutefois préciser que l’auteur n’a pas voulu substituer une nouvelle théorie à l’ancienne, imparfaite, mais qu’il a entendu reformuler la pensée des révolutionnaires eux-mêmes. 36Carré de Malberg ne se contente pourtant pas d’opposer ces deux systèmes, mais il veut démontrer, en outre, que le système français est supérieur au système allemand. 34Dans le système français, la nation est également un organe de l’État. Et, pourtant, elle n'est peut-être pas aussi évidente qu'on se plaît souvent à le croire. Ce faisant, il rend bien compte d’une tradition parlementaire française qui, jusqu’en 1958, ne concevait l’expression d’une volonté nationale qu’au lieu de sa représentation. r de faire des lois 2. Cette limitation du rôle de la représentation repose elle-même sur l’idée que la nation, par elle-même, ne fait pas corps, elle n’est pas une réalité en soi, titulaire d’une souveraineté originaire dont elle déléguerait ensuite l’exercice à des organes, mais qu’elle n’existe juridiquement qu’au lieu et dans les limites constitutionnelles de sa « représentation ». C’est pourquoi le pouvoir dont est maintenant titulaire la nation se trouve immédiatement subordonné à la constitution qui organise l’État et donne compétence aux organes pour formuler la volonté nationale. Il n’est plus l’expression de la puissance publique. Carré de Malberg et l'origine de la distinction entre souveraineté du peuple et souveraineté nationale / Guillaume Bacot Paris : Centre national de la recherche scientifique, 1985 Monografie Son regard reste orienté vers l'Alsace la terre natale, une terre de l'Occident moderne déliée de la patrie. Afin de découvrir la théorie révolutionnaire de l’organe d’État, il faut donc gommer le langage employé par les constituants et retrouver derrière les mots trompeurs 37 les concepts et le système gravés dans la Constitution de 1791, s’attachant pour cela « non à ce qu’ils ont dit mais à ce qu’ils ont fait ». Carré de Malberg : et l'origine de la distinction entre souveraineté du peuple et souveraineté nationale. Tel est le cas de CARRE de MALBERG. Georges Burdeau), La Loi, expression de la volonté générale, Paris, Economica, coll. C’est pourquoi on peut conclure que la notion de représentation ne désigne « plus seulement comme autrefois un certain rapport entre le député et ses déléguants : il exprime l’idée d’un pouvoir consistant chez le représentant à vouloir et décider pour la nation » 50. Le mot de « représentation » n’est dès lors plus qu’une simple métaphore : il n’y a aucun rapport entre l’électeur et le député ; le député n’exerce pas un droit appartenant à l’électeur ; l’élection n’est qu’une fonction. WorldCat Home About WorldCat Help. La nation, représentée par les Chambres, n’est donc qu’un organe de l’État placé dans une position subalterne elle n’existe juridiquement que dans le champ borné par l’octroi. Guiheux Gilles. Lorsque Carré de Malberg puise dans la Constitution de 1791 les principes qui lui permettent d’expliquer ensuite les fondements du pouvoir, il ne fait alors qu’expliciter la théorie de l’État, pour ainsi dire latente, contenue dans ces principes. Il y a, écrit le juriste alsacien, une « essence commune de la monarchie et de la démocratie » 16 qui réside dans la prétention d’une personne ou d’un groupe de personnes, le peuple, à exercer, en vertu d’un droit propre, le pouvoir souverain. Cela est d’autant plus surprenant que les hommes de 1789 ont dégagé les éléments de cette théorie avec une fermeté et une précision que personne n’a dépassées depuis lors ». Commentaire de texte de 4 pages en droit autres branches : Raymond Carré de Malberg, Contribution à la Théorie générale de l'Etat, Extrait : commentaire. À l’inverse « un étranger, dont la volonté serait imposée au groupe par une force venant du dehors, ne serait plus un organe de la collectivité mais un maître » 56. 33Dans la théorie monarchiste, ce n’est pas la nation mais bien le monarque qui est le titulaire principal de la puissance de l’État. La conception allemande de l’organe d’État déduite du principe monarchique réduit la nation au rang d’organe de l’État parce qu’elle ne repose pas sur le principe de la souveraineté nationale. Carré de Malberg reprend cette thèse de Jellinek, toutefois, alors que les juristes allemands accompagnent cette thèse de celle de la souveraineté de l’État, Carré de Malberg se référant à la tradition française, l’accompagne lui de l’affirmation de la souveraineté nationale. En effet, le droit constitutionnel de la Révolution française est non seulement au fondement de l’ordre juridique français, mais à la racine de l’État moderne. 10Cette transformation a, pour l’auteur, une double signification. Elle suggère que, comme dans l’ordre international une confédération d’États ne peut s’accorder qu’à l’unanimité, la démocratie appelle nécessairement comme son idéal mais aussi sa condition de possibilité – donc son impossibilité – l’unanimité des volontés des citoyens assemblés. 11Pour comprendre la portée que Carré de Malberg reconnaît au principe de la souveraineté nationale, il faut s’arrêter, un instant sur le système que, selon lui, la Révolution met en place. 7La réception du droit constitutionnel de la Révolution française par Carré de Malberg est au centre d’intérêts intellectuels et biographiques qui en façonnent la compréhension. Et l’auteur ajoute encore « Dans ces conditions, il est permis de s’étonner que les auteurs français, reniant les origines françaises de la théorie de l’organe d’État, la fassent aujourd’hui passer pour une création exclusivement germanique. L'apport majeur de la Révolution française, selon Carré de Malberg, est d'avoir consacré le principe de la souveraineté nationale. L'État fédéral est bicéphal. Ce n’est pas parce que ces principes sont posés qu’ils sont juridiques mais c’est parce qu’ils sont vrais qu’ils acquièrent une valeur juridique. Très perspicace, CARRE de MALBERG affirme : "Si la souveraineté n'est pas nécessairement un pouvoir sans limites, du moins il est de l'essence de l'Etat souverain que lui seul détermine, de sa propre volonté, les règles juridiques qui formeront la limitation de sa puissance souveraine. « Classiques », 1984 (ISBN 2-7178-0811-6) Raymond Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l'État, Paris, CNRS Éditions, 1920, 1530 p. (ISBN 978-2 … Un attachement à la Péguy, qui va jusqu'au don de soi pour une idée qui dépasse le cadre d'une existence humaine, si modeste soit-elle. Il ne monopolise plus la totalité de la puissance étatique puisque au moyen d’une Charte ou d’une Constitution il a confié une part de l’exercice du pouvoir constituant et du pouvoir législatif à une ou plusieurs assemblées. Ce principe permet de penser une forme d’exercice de la puissance qui diffère aussi bien de la souveraineté monarchique que de la souveraineté populaire. 22C’est dans la forme de la représentation que s’accomplit l’État moderne. Il en résulte selon lui « que la souveraineté a essentiellement son siège dans le peuple, c’est-à-dire dans les individus mêmes dont le peuple se compose, dans chacun des membres comptés un à un, de la masse populaire » 28. DE LA SOUVERAINETÉ NATIONALE À LA SOUVERAINETÉ DU PEUPLE Mutations et continuité de la théorie de l'Etat de Carré de Malberg par Christoph SCHÖNBERGER* L'article de Carré de Malberg qui est publié à nouveau dans la présente revue date d'une période clé de son itinéraire intellectuel : … Caroline-Barbe Colchen Carré de Malberg (8 April 1829 - 28 January 1891) was a French Roman Catholic from Metz who founded both the Salesian Missionaries of Mary Immaculate and the Association of Saint Francis de Sales (1872). Et 1870, pour CARRE de MALBERG restera l'année de la douleur, celle de la perte d'une terre et celle de la perte d'un père mort au champ d'honneur. Cependant ni la démocratie ni la monarchie ne permettent la réalisation de la véritable idée d’État. En cela même consiste sa souveraineté. Denis Diderot - 1713-1784 - L'Encyclopédie, article Droit naturel Manifestement alors le schéma révolutionnaire de l’organisation du pouvoir déborde la frontière géographique de son accomplissement historique pour s’imposer comme un véritable modèle, opposable à d’autres formes d’organisation du pouvoir. C’est pourquoi la souveraineté y reste divisée et l’anarchie ainsi consacrée. La citation la plus célèbre sur « souveraineté » est : « Veillez par tous les moyens sur cette souveraineté fondamentale que possède chaque nation en vertu de sa propre culture. Cette évolution de son centre dintérêt professionnel vers le droit constitutionnel est inséparable de sa condition dexilé alsacien dans la « France de lintérieur ».